Voici la ronde des jurons
Qui chantaient clair, qui dansaient rond,
Quand les Gaulois
De bon aloi
Du franc-parler suivaient la loi,
Jurant par-là, jurant par-ci,
Jurant à langue raccourcie,
à langue raccourcie
Jeu multiple : "langue" -- organe proprement dit ("jurer à langue raccourcie" dérivé de "frapper à bras raccourcis") et organe de parole et "système d'expression...
Comme des grains de chapelet
Les joyeux jurons défilaient :
Tous les morbleu,
Morbleu etc.
La terminaison -bleu, est un euphémisme qui évite de dire Dieu, et donc de blasphémer. Dire mordieu! c'était jurer "par la mort de Dieu!". Fallait oser, à l'époque!
Tous les ventrebleu,
Ventrebleu
"par le ventre de Dieu!"
Les sacrebleu et les cornegidouille,
Cornegidouille
Si sacrebleu (sacré dieu!) est assez courant (crédieu! crébondieu!), cornegidouille est un juron inventé par Jarry et tiré de Ubu Roi. Ubu jure aussi "par ma chandelle verte!"
Ainsi, parbleu,
Parbleu Par Dieu !
Que les jarnibleu
Jarnibleu "je renie Dieu!", blasphème de niveau péché mortel. Voir plus bas jarnicoton. Ne pas oublier que "Tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain" est le troisième des Dix Commandements. Oui, avant "Tu ne tueras pas", qui n'est qu'en septième position.
Et les palsambleu,
Palsambleu "par le sang de Dieu!"
À rapprocher de l'explétif "bloody" qui, en anglais, a la même origine.
Tous les cristi,
Cristi Le Christ, un juron de plus en rapport avec la religion.
Les ventre saint-gris,
Ventre-saint-gris Euphémisme pour Ventrebleu, lui-même euphémisme pour Ventre-Dieu, St Gris étant un nom de saint fantaisiste. Juron attribué à Henri IV.
Les par ma barbe et les nom d'une pipe,
Ainsi, pardi,
Pardi Pardi est aussi un juron édulcoré: c'est Par Dieu! Bizarrement, il s'est spécialisé dans le sens de "évidemment".
Ex. Comment j'y vais ? Je prends le métro, pardi!
Que les sapristi
Sapristi et sacristi
Comme saperlotte et saperlipopette, sapristi commence par sapré, déformation de sacré. Le jeu de mots avec "sacristie", la pièce où le prêtre s'habille avant la messe, n'est sans doute pas entièrement dû au hasard.
Et les sacristi,
Sacristie Il semble que Ciboire! (prononcé Cibouère) Tabernacle! (prononcé Tabarnac) et Sacristie! soient des jurons encore assez communs chez nos cousins du Québec, qui sont de culture très catholique. Variantes et combinaisons: Cibouère de sacristie! Tabarnac à deux étages!
Notons que le ciboire, quand il contient les hosties, est rangé dans le tabernacle, mais à la sacristie lorsqu'il est vide.
Sacristi
Ciboire est bien un juron mineur au Québec, par contre jamais de ma vie je n'ai entendu quelqu'un prononcer sacristie. Un bon résumé des sacres Québécois courants : Hostie, Calice, Tabernacle, Sacrement, Christ. Pour créer une phrase, il suffit de noter que chacun des termes peut servir de sujet, de complément ou d'adjectif, et que Christ et Calice sont aussi des verbes.
Sacristie Sacristie! interj. — Juron.
Mais il est bien sûr possible que son emploi soit tombé en désuétude. Comme quoi, il ne faut pas toujours se fier aux dictionnaires !
Putain de Tabarnac !
Pour revenir sur les sacres du Québec, l'intervenant plus haut dit que les québecois sont de culture très catholique. C'était vrai mais ce n'est plus le cas aujourd'hui, pour ma part je suis athé et je jure assez souvent, c'est donc à dire que je ne jure pas vraiment puisque je ne suis pas croyant. Tout cela n'est que relent du passé...
Sans oublier les jarnicoton,
Jarnicoton C'est un juron qui avait été conseillé à Henri IV par son confesseur pour remplacer les jurons comportant le nom de Dieu. Ce confesseur se nommait Cotton et Jarnicoton voulait dire: je renie Cotton
Les scrogneugneu et les bigre et les bougre,
Scrogneugneu C'est le "Rrrontudju!" de Prunelle ou Fantasio dans les aventures de Gaston Lagaffe, à savoir une déformation "euphémistique" de Nom de dieu! (je jure par le Nom de Dieu et, ce faisant, j'enfreins sciemment le troisième commandement)
Bougre Introduit en France au moment de la guerre des Albigeois, le mot bougre signifie à l'origine "Bulgare". L'hérésie des Albigeois, ou Cathares, avait été en effet importée de Bulgarie. Il considéraient le mariage comme un pis-aller, le célibat comme un idéal. Leurs "prêtres" allaient par deux (on les appelait les Parfaits) et certains en avaient conclu qu'ils s'adonnaient à la sodomie. Bougre était donc à l'origine une injure du niveau "Sale pédé".
Bigre Bigre est la version édulcorée de bougre, comme fich(tr)e celle de foutre.
Les saperlott', les cré nom de nom,
Les peste, et pouah, diantre, fichtre et foutre,
Diantre Diantre, c'est une déformation de Diable. Comme pour Dieu, on évitait de prononcer directement son nom par crainte d'ennuis graves.
Foutre Foutre est un vieux verbe qui signifie simplement baiser, mais qui a perdu beaucoup de sa virulence depuis un demi-siècle (c'est le "fuck" qui est resté beaucoup plus longtemps tabou chez les Anglo-Saxons, mais se répand aujourd'hui partout). "Va te faire foutre!" est on ne peut plus clair. Accessoirement, le foutre, substantif, signifie le sperme.
Fichtre est la version soft de foutre.
Tous les Bon Dieu,
Tous les vertudieu,
Vertudieu La vertu étant le pucelage, "Par le pucelage de Dieu!" était évidemment un juron un peu raide. Il avait, outre Vertubleu bien sûr, une autre version soft assez marrante: "Vertuchoux!"
Vertudieu n'est pas un juron
Rabelais, dans sa "Brève déclaration" en supplément au Quart Livre, le dit : "ce n'est jurement, c'est assertion". Comme "sangdieu", c'est un raccourci de la formule "Par le Sang Dieu nous fûmes rachetés, par la vertu Dieu nous serons sauvés", phrase très courante dans les prêches d'autrefois.
Je ne sais pas si c'est une très bonne idée de prendre au pied de la lettre les assertions de Rabelais qui, à son époque déjà, faisait souvent de l'humour au moins au deuxième degré.
Tonnerr' de Brest et saperlipopette,
Brest Tonnerre de Brest, popularisé par le Capitaine Haddock, c'est aussi un Tonnerre de Dieu édulcoré.
Notons au passage que haddock signifie "hareng séché", et que le Capitaine partage son goût des jurons fleuris avec les harengères de la chanson.
Le "Tonnerre de Brest" était en fait un gros canon qui tonnait pour annoncer l'arrivée d'un ennemi ou l'évasion d'un forçat du bagne voisin. Le "Tonnerre de Brest" faisait "grand bruit dans Landernau", petit village proche de Brest.
Ainsi, pardieu,
Que les jarnidieu
Jarnidieu Jarnidieu = je renie dieu.
Ce n'est pas une formule édulcorée, c'est simplement dit avec un accent paysan.
Et les pasquedieu.
Quelle pitié!
Les charretiers
Charretiers Les conducteurs d'attelage, ou charretiers, avaient la réputation de jurer haut et fort pour encourager leurs chevaux ou leurs mules (voir à ce propos les aventures de Lucky Luke).
Ont un langage châtié!
Les harengères
Et les mégères
Ne parlent plus à la légère!
Le vieux catéchisme poissard
Poissard Les poissardes, ou marchandes de poisson (comme les harengères) étaient réputées pour leur vocabulaire choisi, et à peu près aussi parfumé que leur poisson.
Poissard Poissard signifie également très malchanceux
Renvoie peut-être à un livre signé L'Arsouille, Milord : Le Parfait catéchisme poissard : recueil le plus soigné et le plus complet d'engueulades, de joyeux dialogues de carnaval, de chansons grivoises, d'anecdotes, de rencontres et de scènes d'arsouilles ...
on n'a guèr' plus cours chez les hussards...
Hussards Cavaliers d'élite, les hussards ont laissé une réputation de gens qui ne s'embarrassaient pas de cérémonies inutiles : baiser "à la hussarde" ressemblait fort à violer. Gageons qu'ils violaient aussi la grammaire, le vocabulaire et la bienséance.
Ils ont vécu, de profundis,
De profondis Premiers mots de la prière pour les morts : De profundis clamavi ad te Domine (Des profondeurs j'ai crié vers toi, Seigneur) De profondis morpionibus On ne peut voir cette expression sans penser au début du chant de la litturgie paillarde, chère à Brassens, de Profondis Morpionibus, attribué à Théophile Gautier.
Les joyeux jurons de jadis :
Tous les morbleu,
Tous les ventrebleu,
Les sacrebleu et les cornegidouille,
Ainsi, parbleu,
Que les jarnibleu
Et les palsambleu,
Tous les cristi,
Les ventre saint-gris,
Les par ma barbe et les nom d'une pipe,
Ainsi, pardi,
Que les sapristi
Et les sacristi,
sans oublier les jarnicoton,
Les scrogneugneu et les bigre et les bougre,
Bougre (bis)
Puisqu'on a mentionné "fuck" et "bloody", notons que "bugger" a gardé en anglais le sens de sodomiser. C'est pour "buggery" qu'Oscar Wilde fut envoyé en prison. Mais il a aussi un sens émoussé : en exclamation, Bugger! est l'équivalent de Zut! Boulgre est une forme de "bulgare" (cf Rabelais) à la forte réputation
Les saperlott', les cré nom de nom, Saperlotte A mon avis, après avoir recherché dans des vieux dictionnaires encyclopédiques de 1881, je pense que "saperlotte" est une contraction de "saperlipopette" qui pourrait se décomposer dans une approche étymologique de la façon suivante :
- saper : travailler avec le pic et la pioche à détruire les fondements d'un édifice, d'une fortification. Abattre par sous-oeuvre et par le pied, avec des marteaux, masses et pinces | sens figuré : détruire les fondement de, saper un système. saper les bases de la morale.
- lipo : du grec lipo : graisse, vu aussi dans lipome, lipoïde, qui caractérise des objets, des formes rondes et flasques, comme celles formées par les fesses.
- pette : de l'italien petto qui veut dire : dans l'intérieur du coeur, en secret.
Ce qui pourrait vouloir dire : frapper les fesses en secret, botter les fesses en comité restreint.
C'est donc une expression probablement utilisée, comme avertissement, par les anciens éducateurs, moines, professeurs, tuteurs pour signifier à un élève ou un subordonné qu'une action de "bottage" de fesses va lui être appliquée à part, en intimité pour que ce châtiment corporel ne soit pas sur la place publique.
Les peste, et pouah, diantre, fichtre et foutre,
Tous les Bon Dieu,
Tous les vertudieu,
Tonnerr' de Brest et saperlipopette,
Ainsi, pardieu,
Que les jarnidieu
Et les pasquedieu
Pasquedieu
Ce juron apparaît (plutôt sous forme d'interjection) dans Notre-Dame de Paris et dansMarion de Lorme, de Victor Hugo
Pasquedieu - Pasquedieu, maître Claude, reprit le compère Tourangeau après un silence, vous me gênez fort. J'avais deux consultations à requérir de vous, l'une touchant ma santé, l'autre touchant mon étoile.
Victor Hugo. Notre Dame de Paris
Pasquedieu
- Mais, pasquedieu, c'est de la bergerie
Que ces amitiés-là ! c'est du Racan tout pur.
Il va donc pour entrer escalader ce mur ?
Victor Hugo. Marion Delorme. Acte I. Scène 1.
Pasquedieu Et pourquoi pas simplement "parce que Dieu!" comme si en prononcant ce mot, on prenait Dieu comme témoin des paroles suivantes...
La ronde des jurons - Georges Brassens - 1958 - Le pornographe, 2
Analyse Brassens